Si tous les candidats de la primaire partagent un même constat de la justice, tous n’envisagent pas les mêmes solutions. Plusieurs, cependant, se positionnent sur la défense des victimes et l’avancée de leurs droits juridiques.
Atlantico : Dans le cadre de la primaire de la droite et du centre, vous vous êtes entretenus avec les candidats en matière de justice pénale. Quels sont les principaux enseignements qui ressortent de vos échanges ? Comment se positionnent les candidats, de manière globale ?
Guillaume Jeanson : La première volonté de l’Institut pour la Justice était d’interroger les candidats sur des sujets centraux afin qu’ils s’engagent véritablement. Parmi ces sujets, le droit des victimes figure en bonne place. Nous avons été agréablement surpris de mesurer les progrès réalisés par les politiques en ce domaine. Ce sujet, encore tabou en 2007 quand l’Institut Pour la Justice a initié son combat, s’est imposé peu à peu comme l’un des plus consensuels chez les candidats à cette primaire. Quasiment tous défendent maintenant un droit d’appel pour la victime dans le procès pénal.
Dans le cadre de cette primaire on a pu entendre parfois que les candidats avaient plus ou moins le même programme. Cela ne me paraît pas si exact. Certes les candidats se rejoignent généralement sur un constat édifiant : celui d’une justice exsangue qu’il est urgent de réformer, d’un système d’exécution des peines largement défaillant, d’une justice qui mériterait à gagner en transparence et à perdre en politisation et de la nécessité de développer des moyens de lutte contre le terrorisme islamique. Il n’en demeure pas moins que certaines nuances non négligeables apparaissent dès lors que l’on évoque les solutions proposées. En matière de places de prison, les candidats préconisent de 10.000 à 30.000 places. Cela signifie qu’un candidat comme Bruno Le Maire ou Alain Juppé propose un plan moins ambitieux, que celui présenté, à la rentrée, par Manuel Valls et Jean-Jacques Urvoas. Dans nos échanges avec les candidats, nous avons aussi pu relever que pour certains d’entre eux la question du sens de la peine comptait davantage que la gestion des flux.
On ressent par ailleurs la difficulté pour les candidats de réformer la magistrature. S’ils s’entendent généralement sur le manque de moyens de la magistrature, leurs avis divergent en revanche sur les réformes à adopter. Faut-il plus de magistrats ou au contraire recentrer leur actions en les entourant mieux ? Comment garantir l’indépendance des magistrats tout en luttant contre le corporatisme et la politisation ? Si ces questions peuvent paraître techniques, elles révèlent en fait la perception que le candidat porte sur le fonctionnement de nos institutions et ainsi sur la garantie de nos libertés. Ce débat revient également lorsqu’on évoque les peines plancher qui, bien que soutenues par tous les candidats, présentent des modalités d’application diverses et posent ainsi la question de l’étendue réelle du principe d’individualisation de la peine que l’on souhaite in fine observer.
La première question sur laquelle vous mettez l’emphase porte sur le droit des victimes à l’appel. Quels sont les candidats les plus engagés en faveur des victimes ? A l’inverse, qui sont ceux qui prennent le moins position pour elles ? Qu’est-ce que cela traduit de la conception de la justice des candidats ?
L’Institut pour la Justice a en effet entendu mettre l’emphase sur le droit d’appel des victimes car cette mesure est au cœur du combat qu’il mène depuis bientôt dix ans. Une avancée législative sur ce point constituerait certainement de la part du prochain président de la république un signal fort de la volonté de rapprocher enfin la justice des citoyens. Pour mémoire, il ressort d’un sondage CSA effectué en 2013 que 92% des français interrogés sont favorables à la reconnaissance d’un droit d’appel des victimes. Et on peut le comprendre aisément. Le principe du double degré de juridiction qui, depuis la provocatio ad populum romaine, s’est imposé progressivement tout au long de notre histoire judiciaire, témoigne, en soi, d’une prise de conscience salutaire : non, la justice des hommes n’est pas infaillible. Face à un jugement qu’il estime inique, un individu peut donc soumettre son litige en appel à l’appréciation d’une seconde juridiction. Depuis le Code d’instruction criminelle de 1808, ce principe souffre néanmoins d’une entorse importante à l’endroit des victimes. Placées dans une situation d’infériorité juridique par rapport au mis en cause, les victimes qui voient leur agresseur relaxé ou acquitté ne peuvent en effet qu’interjeter appel sur « les intérêts civils ». L’appel sur la peine n’incombe, lui, qu’au seul parquet. Cela signifie que si ce dernier refuse de faire appel, la seule question qui pourra être débattue sera alors celle du montant d’une éventuelle indemnité réparatrice. Hypocrite et incohérente, cette voie de recours qui prétend permettre de faire reconnaître un individu « responsable mais pas coupable » demeure en pratique, et de façon guère étonnante, largement inusitée. Parmi les non-juristes, ceux qui connaissent cette règle ne sont d’ailleurs le plus souvent que ceux qui s’y sont douloureusement heurtés. Ce système n’est ni juste, ni satisfaisant. Si la Justice ne saurait être infaillible lorsqu’elle condamne un innocent, pourquoi saurait-elle l’être soudainement lorsqu’elle innocente un coupable ? La victime demeure tributaire de la décision du parquet. Une décision que ce dernier n’est ni tenu de motiver, ni même d’expliquer.
Or les intérêts du parquet – institution en charge des intérêts de l’ensemble du corps social – ne coïncident pas toujours avec ceux de la victime. Il y a plus de dix ans déjà, la cour européenne des droits de l’homme soulignait dans un arrêt célèbre combien les « rôles et objectifs » du parquet sont distincts de ceux de la victime. Confier au seul parquet un droit d’appel en cas de relaxe et d’acquittement –alors que l’exercice de ce droit concourt tout autant aux intérêts les plus chers des victimes- n’est pas sans risque pour ces dernières. Et, de fait, on remarque qu’en pratique le parquet ne fait appel que rarement. Lorsqu’une victime de viol voit son agresseur acquitté en cour d’assise et que, tributaire de l’inertie du parquet, elle ne dispose alors d’aucun moyen pour réformer cette décision et rétablir la vérité, il se joue pour elle, au travers de ce qu’il faut bien appeler aussi une « erreur judiciaire », un second drame. Celle qui s’attendait à être reconnue publiquement dans son statut de victime pour espérer lentement se reconstruire se voit, au contraire, humiliée, abandonnée et emmurée à jamais dans le soupçon – Celui d’être une « menteuse ».
Le plus souvent, elle ne comprend pas ce refus d’interjeter appel du parquet qui, comble de l’incohérence, intervient parfois même à la suite de lourdes réquisitions soutenues par ce dernier à l’audience. Ce traumatisme, qui participe de ce que les victimologues qualifient de phénomène de « victimisation secondaire », est générateur d’une souffrance inouïe pour les victimes. Il faut le dire, il est aussi parfois mortifère. Face à ces situations révoltantes de détresse, s’élèvent cependant certaines voix pour justifier encore – souvent à grand renforts d’arguments d’autorité – ce déséquilibre de notre régime procédural. Le mythe d’un retour à la « loi du Talion », d’une « justice privée » ou d’une « vengeance institutionnalisée » sont invoqués sans craindre vraisemblablement la caricature ; d’autres hurlent au principe de la « présomption d’innocence » et au « déséquilibre du procès pénal » ; d’autres encore invoquent le spectre d’un sur-engorgement des juridictions. D’autres enfin, faisant pourtant fi d’une position trentenaire de la Cour de cassation ainsi que de l’existence de régimes indemnitaires spéciaux prévus par le législateur, vont même jusqu’à prétendre purement et simplement que la peine « n’intéresse pas la victime ». A y regarder de près pourtant, aucun de ces arguments ne semble résister sérieusement à la contradiction. Sans pouvoir prétendre ici à une quelconque exhaustivité, il apparaît en effet qu’à aucun moment une telle mesure reviendrait à ce que la Justice soit désormais rendue par les victimes. Elles ne feraient que soumettre, à l’instar d’un condamné, ou même à l’instar d’une personne s’estimant victime dans le cadre d’un contentieux civil, commercial, prud’hommal ou même administratif, leur litige à l’appréciation d’une seconde juridiction. Sans empiéter sur les droits de la défense, elles se cantonneraient à concourir à la manifestation de la vérité, jouant par là un rôle précieux de garde-fou face à certains dysfonctionnements entachant la crédibilité de nos institutions. Ce faisant, elles poursuivraient un désir légitime de Justice. Un désir précieux pour leur reconstruction. Un désir analysé de longue date par d’éminents chercheurs en sciences cognitives, comme un phénomène psychologique distinct d’un vulgaire désir de vengeance. La question du sur-engorgement des juridictions doit elle aussi être fortement relativisée ; une étude réalisée il y a 5 ans, minimisant fortement l’augmentation du nombre de procès qu’elle engendrerait réellement.
L’importance de ces questions et le traumatisme qui en résulte, méritaient donc, à tout le moins, l’ouverture d’un débat. C’est la raison pour laquelle l’Institut Pour la Justice a tenu à interroger chaque candidat pour connaître sa position sur ce point. Cette position ne figurait étonnamment que sur un seul programme (malgré l’engagement pris en ce sens en 2012 par le candidat Nicolas Sarkozy suite à la mobilisation de l’Institut pour la Justice) : celui de Nathalie Koscisuko Morizet. Il l’a fait tout d’abord en interrogeant les différents candidats et leurs porte-paroles le 22 octobre dernier à la maison de la Chimie, aux côtés de Philippe Bilger, le Général Bertrand Soubelet, Gilles-William Goldnadel et Thibault de Montbrial, lors d’une grande journée marquant le premier volet de son Forum « Présidentielle 2017 ». Il l’a ensuite fait en adressant, par courrier recommandé à chacun des candidats, un questionnaire d’une vingtaine de questions dont la première est libellée de la façon suivante : « Faut-il offrir le droit à une victime d’interjeter appel dans le cas d’un acquittement ou d’une relaxe de son agresseur à l’encontre duquel le procureur avait requis une condamnation, sans pour autant interjeter appel ? ».
Jean-François Copé, François Fillon, Nathalie Koscisuko Morizet Jean-Frédéric Poisson et Nicolas Sarkozy ont répondu Oui. Alain Juppé a répondu Non. Bruno Le Maire n’a, quant à lui, même pas daigné répondre, en dépit de multiples sollicitations. Une première ligne se dessine donc. Mais il en existe une seconde. Les candidats ayant répondu Oui ne constituent pas un bloc monolithique. Des candidats comme Nicolas Sarkozy ou Jean-Frédéric Poisson sont très largement favorables au droit d’appel des victimes. Nicolas Sarkozy s’était engagé en avril 2012 dans sa proposition 32 à « donner au victimes le droit de faire appel des décisions des cours d’assises et des tribunaux correctionnels, ainsi que des décisions de remise en liberté. » Lors de la journée du 22 octobre, le porte-parole de Jean-Frédéric Poisson, mon Confrère Antoine Beauquier, a indiqué que son candidat défendait une égalité de droit entre le délinquant et la victime. La traduction logique de ce positionnement devrait donc ouvrir la possibilité de l’appel non seulement en cas d’acquittement et de relaxe, mais également en cas de condamnation, sur le quantum de la peine. Cette solution avait d’ailleurs été retenue par une proposition de loi de Christian Estrosi en date du 7 février 2012. Des candidats comme Nathalie Koscisuko Morizet et François Fillon se positionnent en revanche en faveur d’un droit d’appel davantage circonscrit. La première est favorable au seul droit d’appel en cas de relaxe et acquittement. Cette solution avait été retenue par une proposition de loi d’Etienne Blanc en décembre 2013. Le second, seulement en cas d’acquittement. Le Député Philippe Houillon, porte-parole de François Fillon, a en effet précisé le 22 octobre que ce droit d’appel devait selon lui être cantonné aux seules affaires criminelles et non aux affaires délictuelles.
Ce large consensus qui se dégage en faveur de l’ouverture d’un droit d’appel des victimes, quelle qu’en soit d’ailleurs la forme exacte, témoigne d’une prise de conscience salutaire de la nécessité d’associer davantage la victime dans le cadre du procès pénal. Les dernières hésitations culturelles qui freinent encore cette avancée mériteraient d’être progressivement levées par la mise en place d’un programme d’expérimentation.