You are currently viewing Les Echos : « Religion sur le lieu de travail, les entreprises mal à l’aise face à la pression »

Le communautarisme est souvent vécu comme un outil de division interne, particulièrement dans les firmes qui tergiversent sur la conduite à tenir. Mais bien d’autres relèvent peu de problèmes graves.

Entre les entreprises largement dotées de populations dites « issues de la diversité  » qui savent intégrer sans heurts le fait religieux, et celles qui se sentent dépassées par un phénomène qu’elles ont beaucoup de mal à affronter, tous les cas de figure existent aujourd’hui en France. Les observateurs pessimistes n’hésitent plus à se faire entendre, estimant que l’on a pas assez affirmé le caractère laïc au travail. « Le communautarisme est encore un sujet tabou dans l’entreprise, et touche aussi bien les grands groupes que les PME/PMI », indique entre autres l’avocat Thibault de Montbrial, également président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure. « Les directions des sociétés sont au fond coincées entre deux logiques : celle de la fermeté, en refusant des rythmes de travail dérogatoires, par exemple, ou bien l’envie de ne pas se prendre des troubles sociaux. Mais au fond, avec les problèmes actuels, on paye 40 années de petites démissions, on a trop transigé sur le sujet « .

Consultant-formateur spécialisé sur les questions de religion et de laïcité sur le lieu de travail, Guy Trolliet reconnaît à quel point le sujet de la cohabitation interne est délicat. « Ce qui relève d’une demande pratique doit être satisfait par l’employeur, si cela n’altère pas le bon fonctionnement d’un service. Parler religion sur le lieu de travail n’est pas interdit en soi ; ce qui commence à devenir gênant, c’est le prosélytisme, que quelqu’un vous dise notamment que sa religion est la meilleure, comportement qui lui, est attaquable. Même s’il y a eu des progrès en termes de connaissance du cadre juridique et constitutionnel, et la rédaction de guides de la laïcité dans certains groupes, il existe surtout une très grande frilosité dans le traitement de ces sujets. Face aux menaces ou brutalités physiques, les directions ne veulent pas être taxées d’islamophobie ou de racisme, et du coup, laissent souvent les managers de proximité se débrouiller avec ça ». Pour cet expert, les problèmes rencontrés par le personnel pénitentiaire, par exemple, valent bien ceux de leurs homologues de la RATP.

Le rôle de l’intégration

Salles communes fermées à certaines heures de la journée pour les réserver à la prière, refus d’obéir à un manager féminin, et de saluer certains collègues, les manifestations d’une certaine radicalisation sont légion. « Je me souviens d’un débat avec trois représentants d’une entreprise désemparés qui nous ont dit :« c’est une véritable catastrophe, les islamistes radicaux ont de plus en plus mobilisé en interne, ils réquisitionnent des salles de repos pour la prière et virent tous les autres «, » raconte Sylvain Niel, avocat spécialiste du droit social chez Fidal.

Mais dans le contexte actuel de psychose, où l’on finit par soupçonner un soutien au terrorisme derrière chaque barbu, il faut bien réfléchir aux dangers de la stigmatisation. Exemple au nord de Paris, où les grands opérateurs donnent la priorité au bassin d’emploi local (Seine-Saint-Denis, Val d’Oise) pour leurs recrutements, via des chartes avec les départements. « Bien sûr, il faut que la religion reste à l’extérieur de l’entreprise, comme de l’école ou de l’hôpital public « , estime Jean-Pierre Blazy, député-maire (PS) de Gonesse, dans le Val d’Oise, « mais pour la majeure partie de nos jeunes de confession musulmane, leur ambition, c’est d’abord d’intégrer un métier. Il ne faut surtout pas à renoncer à ce type de chartes qui rendent des métiers de l’aéroport de CDG accessibles à ces jeunes, même avec un faible bagage. Car c’est bien la délinquance qui peut amener à la radicalisation. Et à cet égard, le modèle dominant est surtout la case prison « .

Cas compliqués en hausse

De plus, au-delà des réactions émotionnelles et subjectives, les réactions vis-à-vis des « problèmes liés à l’islam  » sont relativement stables dans le temps. « Depuis 3 ans, il n’y a pas d’explosion du fait religieux en entreprise », indique la dernière étude sur le sujet menée par Randstad et l’OFRE (Observatoire du fait religieux en entreprise), publiée en mars 2015, dans la foulée des attentats du début d’année. Près d’une entreprise sur deux se sent concernée par ce thème, un pourcentage qui reste stable dans le temps ». Même si 88 % des cas rencontrés « ne génèrent pas de conflit » et que 92 % des sondés « ne sont pas gênés au travail par la pratique religieuse de leurs collègues », l’étude précise néanmoins que « les cas compliqués à résoudre, éventuellement conflictuels, augmentent « .

« On est certes dans le pire climat qui soit, mais il ne faut pas rester sur des choses extrêmement subjectives. La thématique n’est pas en explosion en entreprise. Des refus de serrer la main à des femmes, cela reste extrêmement rare « , ajoute Inès Dauvergne, du réseau IMS Entreprendre pour la Cité, qui aide des entreprises à rédiger des guides internes en restant sur le multiconfessionnel, avec cas concrets à la clé (adaptation des horaires, alimentation, comportement quotidien, etc.). En cas de comportement problématique d’un salarié, ajoute-t-elle, l’employeur doit faire montre de la plus grande fermenté, « sur la base de critères objectifs « , ajoute-t-elle. En revanche, contrairement au Medef, elle estime que ce n’est pas à ce dernier d’alerter les pouvoirs publics sur des problèmes de radicalisation.

Bonne entente chez PSA Poissy

Chez les constructeurs automobiles nationaux PSA ou Renault, où les premières demandes de salles de prière remontent aux années 1970, et qui ont recruté de longue date d’amples bataillons de main d’oeuvre immigrée, l’intégration paraît aujourd’hui moins conflictuelle qu’ailleurs, et le prosélytisme ne semble guère d’actualité. Exemple à l’usine de Poissy, « site multi-ethnique qui vit en parfaite harmonie et sans heurts particuliers, avec ses plus de 70 nationalités « , selon un représentant de la CFTC. « Ici, on a banni tout communautarisme, et l’on ne veut surtout pas laisser la place à des organisations qui en feraient. Exemple au moment du ramadan, il y a dix minutes de pause supplémentaires quand le soleil se couche, et cela donne lieu à des moments d’échange et de partage entre salariés. Quant au rythme des 5 prières par jour, tout est prévu et ça engendre une certaine solidarité entre les gens sur une même ligne de montage », ajoute le syndicat chrétien.

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