Le procès de huit activistes et d’un porte-parole a eu lieu mardi à Thionville. L’ONG, qui revendique son rôle de lanceur d’alerte, a fait appel de ce jugement.
Un procès pour l’exemple ? Pour la première fois dans l’histoire de la branche française de Greenpeace, des activistes ont été condamnés à de la prison ferme. Huit militants, ainsi que Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace, et l’ONG en tant que personne morale, comparaissaient, mardi 27 février, devant le tribunal correctionnel de Thionville (Moselle), « pour intrusion en réunion et avec dégradation d’une installation civile abritant des matières nucléaires », le site de Cattenom, en octobre dernier.
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Greenpeace n’en est certes pas à sa première intrusion dans une centrale nucléaire. Ni à son premier procès. « Depuis le début de ce siècle, c’est la treizième intrusion », rappelle Thibault de Montbrial, avocat d’EDF. Mais c’est la première fois depuis dix ans que l’ONG est avec ses militants sur le banc des accusés, en tant que personne morale. Ce procès est également le premier à avoir lieu après l’entrée en vigueur, en 2015, de la loi Ganay, qui durcit les peines en cas d’intrusion dans les centrales nucléaires. Désormais, les activistes risquent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Des militants qui assument leurs actes
Mardi 27 février, le président de la cour commence par dérouler la chronologie de la nuit du 12 octobre. A 5h29, le PSPG, le peloton chargé de la surveillance du site, est alerté : huit militants antinucléaire sont en train de s’introduire dans la centrale de Cattenom. Ils escaladent trois barrières à l’aide d’échelles et coupent des fils électrifiés grâce à des disqueuses portatives. A 5h40, vêtus de combinaisons rouges estampillées Greenpeace, de casques de chantier, de masques de protection et de gants, ils parviennent au pied de la piscine de refroidissement des combustibles usagés. Ils déroulent une grande banderole et tirent un feu d’artifice pendant quelques minutes.
Quant au détail de qui a fait quoi, on n’en saura pas plus. Les huit activistes, des hommes et des femmes entre 28 et 58 ans, font face au tribunal. Ils adoptent tous la même défense : « Ils assument. (…) Il s’agit d’une décision collective. » Mais aucun ne donne plus de précisions. Face aux questions restées sans réponse, les regards se tournent vers Jean-François Julliard, le patron de Greenpeace en France.
« J’assume l’organisation, la mise en œuvre et la communication de cette action. »
L’action était nécessaire, selon lui, en raison du danger représenté par les piscines de refroidissement. « Le risque est tellement grand qu’on ne peut pas attendre dix ans. A la remise de notre rapport [sur la sécurité des piscines, début octobre], il n’y a eu aucune réaction ni d’EDF, ni de l’Etat. Et si on n’avait pas mené cette action, aujourd’hui il n’y aurait pas une commission parlementaire sur le sujet. »
« EDF se cache derrière le secret-défense »
Pour Greenpeace, tout l’enjeu du procès est là : provoquer un débat public autour de la sécurité des centrales. Un expert du nucléaire est appelé à la barre pour en faire la démonstration. Bernard Laponche, physicien à la retraite, développe le fonctionnement des piscines à refroidissement et pointe leurs vulnérabilités. Des remarques balayées par EDF.
« C’est irresponsable de la part de Greenpeace de faire croire au plus grand nombre que n’importe qui peut jouer à la marelle jusqu’au pied de la centrale », tonne Thibault de Montbrial. L’avocat de l’électricien rappelle la confidentialité des données touchant le nucléaire. Impossible, explique-t-il, « de faire un power point » pour prouver que les piscines sont bien sécurisées.
« Il y a un moment, il faut que le grand public nous croie sur parole. »
« EDF se cache derrière le secret-défense », dénonce Jean-François Julliard. « EDF ne répond pas aux démonstrations de Greenpeace. Ils disent ‘c’est faux’ et c’est tout, plaide encore Alexandre Faro, l’avocat de l’organisation.C’est regrettable de devoir en arriver là pour mettre ces sujets dans le débat public, mais ils n’ont pas le choix. »
Les forces de l’ordre évitent la violence
Pour la procureure, le débat sur les centrales nucléaires est hors-sujet.« Vous n’êtes pas là pour les motifs mais pour le passage à l’acte, avertit Christelle Dumond face une activiste. Faites-bien la différence. » La militante assume son rôle de « lanceuse d’alerte sur un sujet grave ». Une expression « tarte à la crème », réplique Thibault de Montbrial. « Poser le débat de la sécurité nucléaire, c’est légitime. Mais pas s’introduire dans une centrale », assure Thibault de Montbrial.
L’avocat est catégorique : les huit activistes ont pu pénétrer dans la centrale de Cattenom seulement parce qu’ils étaient estampillés Greenpeace. Pas parce que le site est mal sécurisé. « C’est une escroquerie intellectuelle de faire croire » cela, ajoute-t-il. Les forces de l’ordre n’ont simplement pas usé de la force pour interrompre leur action.
« Est-ce que la prochaine fois, il faut qu’il y ait des morts pour qu’on montre la sécurité des centrales ? »
Le conseil de l’industriel dénonce ensuite le « préjudice moral » porté à EDF par cette action, une « atteinte à sa crédibilité ». « Greenpeace a franchi la ligne rouge », selon la procureure, en référence aux éléments de langage de l’ONG. Un réquisitoire sévère en partie suivi par les juges.
« Ça ne mérite pas de la prison ferme »
Six activistes sur huit, ainsi que le porte-parole de l’ONG, ont en effet écopé de cinq mois de prison avec sursis. Les deux autres militants, déjà condamnés pour des intrusions dans la centrale de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne) et du Tricastin (Drôme), sont condamnés à deux mois de prison ferme. Greenpeace est condamnée à une amende de 20 000 euros. Enfin, les activistes sont condamnés à verser un total de 50 000 euros à EDF en guise de dommages et intérêts.
Greenpeace a aussitôt annoncé son intention de faire appel. « Ils se battent pour des idées, ça ne mérite pas de la prison ferme », souligne Alexandre Faro, l’avocat de l’organisation. « Ces lourdes sanctions ne sont pas acceptables pour l’organisation qui a joué son rôle de lanceur d’alerte », réagit pour sa part Jean-François Julliard. Pour le responsable de l’ONG, c’est plutôt EDF qui devrait être sur le banc des accusés, en raison de son « irresponsabilité en matière de sécurité nucléaire ». Pas ses militants.
Crédit photo : JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP