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Photo : Freepic

Dans une vidéo visionnée un million de fois, l’ex-directeur de l’IHU Marseille accusait un chercheur de vouloir commettre un attentat à la « voiture suicide » contre son institut.

L’Express a appris de source judiciaire que Didier Raoult, ex-directeur de l’IHU Méditerranée infection, a été mis en examen en avril 2022 pour diffamation publique. La plainte a été déposée auprès du procureur de Nanterre par Lonni Besançon, un chercheur critique des travaux du professeur marseillais. Elle vise les propos que Didier Raoult a tenus dans une vidéo diffusée sur la chaîne YouTube de l’IHU Méditerranée infection le 1er juin 2021 et visionnée 1,2 million de fois. « Il y a un autre qui écrit des trucs, qui a même proposé d’envoyer une voiture suicide sur l’IHU, il s’appelle Lonni Besançon, mais qui c’est ces gens ? C’est quoi, ils recrutent ça dans les hôpitaux psychiatriques ? », lance le professeur marseillais, à partir de 31 minutes et 30 secondes.

« Nous sommes dans le cas d’école de la diffamation : non seulement il est objectivement établi que mon client n’a jamais dit, écrit ni projeté de commettre un attentat contre l’IHU, mais en plus, il s’agit d’une accusation gravissime dans le contexte actuel de lutte contre le terrorisme que nous connaissons. Ce comportement irresponsable doit être sanctionné par l’institution judiciaire », estime l’avocate de Lonni Besançon, Me Pauline Ragot. L’accusation de Didier Raoult semble faire référence à un tweet, depuis supprimé, publié par le compte Twitter @Mau_Adrien. « Mais comment faire ? Attentat suicide contre Raoult ? Boycott de CNews ? Twitter et écrire pour informer ? Le choix est vaste », indiquait le message. « M. Raoult ne pouvait ignorer que ce tweet n’avait pas été publié par mon client, puisque ses plus proches soutiens – dont son ex-bras droit le Pr Eric Chabrière – avaient eux-mêmes relayé en amont le tweet initial qui n’était pas l’oeuvre de M. Besançon, ajoute Me Ragot. Cette accusation a causé un préjudice personnel et professionnel considérable à mon client. »

Une lettre de soutien à Elisabeth Bik cosignée par plus de 2 000 scientifiques

Joint par L’Express, Me. Brice Grazzini, le conseil de Didier Raoult, reconnaît « une erreur » de son client, et tient à rappeler le contexte. « C’était en juin 2021, à une époque ou M. Raoult était harassé de toute part et où ses proches lui faisaient remonter les informations, qu’ils ne regardaient pas en direct car occupé par bien d’autres choses, explique l’avocat. Il a vraisemblablement fait une erreur qu’il reconnaîtra. »

Egalement interrogé par L’Express, Lonni Besançon confirme avoir reçu de nombreuses insultes sur les réseaux sociaux, mais aussi des messages adressés directement à l’Université Monash (Australie) où il travaillait à l’époque. « C’est très grave, on m’accuse de terrorisme ! Et les comptes pro-Raoult sur Twitter, dont « Le Professionnel » (depuis suspendu), m’ont aussi accusé d’être un collabo, un nazi, mais aussi un agresseur sexuel et ont, à chaque fois, mentionné mon université, indique-t-il. Heureusement, j’ai été soutenu par mon employeur, mais cela a généré beaucoup de stress. »

Lonni Besançon est un chercheur en « interaction homme-machine » qui a effectué sa thèse à Paris-Saclay en 2017. Dès le début de la crise du Covid-19, il s’est passionné pour l’analyse d’études scientifiques, participant à divers « débunkage » de contre-vérités. « A l’époque, je me suis simplement demandé : comment puis-je aider mes collègues face à cette pandémie ? », explique-t-il. Il s’est notamment penché sur le travail du Pr Raoult et a détecté des anomalies dans plusieurs études, dont celles sur l’hydroxychloroquine, présentée par le professeur marseillais comme le remède contre le Covid-19. Il a également publié une étude scientifique qui rapporte que de nombreux travaux sur le Covid-19 – dont certains de l’IHU – sont parus dans des revues scientifiques quelques jours seulement après leur réception, alors que le processus de relecture prend, normalement, plusieurs mois, voire plusieurs années.

Mais c’est sans-doute une lettre ouverte qui a le plus attiré l’attention du professeur marseillais. « Mon client s’est manifestement attiré les foudres de M. Raoult quand il a corédigé, avec plusieurs autres scientifiques, une lettre soutenant Elisabeth Bik », avance Me Pauline Ragot. Mme Bik est une chercheuse néerlandaise spécialisée dans la lutte contre la fraude scientifique qui a révélé des irrégularités dans les études de l’IHU et contre qui Didier Raoult a porté plainte, après l’avoir traitée de « cinglée ». Une tentative « de judiciarisation du débat scientifique » dénoncé par le CNRS et l’ENS, mais aussi de nombreux chercheurs. La lettre ouverte corédigée par Lonni Besançon a ainsi été signée par plus de 2 000 scientifiques internationaux et a été relayée par les grandes revues scientifiques – Nature NewsScience News – et de nombreux médias, dont la BBC, The Guardian, etc. « Sa menace de procès à l’encontre de Mme Bik m’a profondément agacé, car il s’agit d’une grande chercheuse. Et face à des problèmes scientifiques, on répond normalement par la science et non par la voie judiciaire. J’ai alors coécrit cette lettre et, la semaine d’après, comme par hasard, il me confond avec Adrien Mau et m’accuse de vouloir commettre un attentat », explique Lonni Besançon. « Il n’y avait aucune volonté d’attaquer ou de diffamer qui que ce soit, Didier Raoult ne connaissait pas et ne connaît pas Lonni Besançon, il a simplement remonté une information erronée qu’il a répété », assure Me. Grazzini.

De nombreuses plaintes déposées par l’IHU

Dans le cas d’une plainte pour diffamation, la mise en examen est automatique si l’auteur des propos attaqués se trouve identifié et qu’il est avéré qu’ils ont bien été prononcés, ce qui est le cas en l’espèce. L’affaire est désormais entre les mains du tribunal de Nanterre. Le juge d’instruction peut désormais ordonner le non-lieu ou le renvoi devant le tribunal correctionnel. Si le renvoi est prononcé, il s’agira du premier procès en diffamation contre Didier Raoult. Mais cette procédure pourrait marquer le début d’une longue série. Car, selon les informations de L’Express, d’autres plaintes ont et vont être déposées contre des membres ou ex-membres de l’IHU, dont Didier Raoult et Eric Chabrière. Ce dernier est par ailleurs suspecté par plusieurs victimes de harcèlements d’être le propriétaire de ce compte anonyme « Le Professionnel », qui a adressé des centaines de tweets accusateurs ou injurieux aux critiques de l’IHU.

De son côté, Didier Raoult a également déposé de nombreuses plaintes contre ses détracteurs, dont Karine Lacombe, infectiologue à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP, Paris), Jean-Paul Stahl, infectiologue au CHU de Grenoble et membre de la Société de pathologie infectieuse de langue française, Leonid Schneider, biologiste, journaliste scientifique ukraino-allemand spécialiste de la fraude scientifique et Alexander Samuel, un docteur en biologie moléculaire. Des lanceurs d’alerte qui ont été parmi les premiers à dénoncer les anomalies venant des études de l’ex-directeur de l’IHU. « Notre plainte s’inscrit dans le cadre plus général des dénonciations des méthodes pernicieuses et inadmissibles employées par Didier Raoult et son entourage pour faire taire toute opposition scientifique », note Me Pauline Ragot.

« Il ne s’agit pas de procédures baillons, si on souhaite le faire, il faudrait faire en sorte que ces procédures aillent vite, utiliser d’autres outils comme la saisie en référé d’un juge pour faire retirer une publication par exemple, or nous sommes passés par des plaintes avec constitution de partie civile, qui peuvent pendre plusieurs années, M. Samuel vient tout juste d’être mis en examen [en mai 2022, NDLR], nous ne plaiderons pas contre M. Stahl avant 2023, etc. », rétorque Me. Grazzini. Quant à la plainte contre Elisabeth Bik, l’avocat indique qu’il « s’agit d’une plainte simple ». « Elle n’a pas adressé ses critiques directement à l’IHU et à Didier Raoult, mais sur PubPeer [une plateforme de discussions scientifiques, NDLR], où elle a suggéré que l’IHU ferait de la ‘science néocolonialiste’, et si on sort du débat scientifique, la seule chose qui reste à faire est de recourir à la justice », justifie-t-il. Cette plainte a, de toute manière, peu de chance d’aboutir compte tenu des arguments avancés, mais aussi parce que Mme. Bik réside aux Etats-Unis.

Outre ces procédures, une enquête judiciaire contre l’IHU a été ouverte au parquet de Marseille en septembre. Elle fait suite aux investigations et rapports au vitriol de l’Agence française du médicament et de l’Igas qui ont découvert un management défaillant et des comportements de l’équipe dirigeante « générateurs de mal-être au travail, voire de harcèlement », des prescriptions médicales à l’encontre du Code de la santé publique, ou encore des publications d’études scientifiques de piètre qualité ou sans autorisation légale. Des irrégularités en partie révélées par les lanceurs d’alertes, mais aussi par les enquêtes de L’Express.

Source L’Express