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Photo : Freepik

Le Centre national de la recherche scientifique refuse de prononcer un mot de soutien public en faveur de la chercheuse menacée de mort. Déroutant.

 Mme Bergeaud-Blackler bénéficie de la protection fonctionnelle. » Voilà le seul commentaire que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a consenti à formuler lorsque Le Point l’a sollicité afin de connaître sa position sur les menaces de mort ciblant l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler. Celle-ci a été placée sous protection policière dans le courant du mois de mars, à la suite de la parution de son livre Le Frérisme et ses réseaux, l’enquête, aux éditions Odile Jacob, en janvier 2023, avec une préface de Gilles Kepel.

L’ouvrage n’est pas un pamphlet. Personne n’y est insulté. Il s’agit, comme le titre l’indique, d’un éclairage critique sur le dispositif intellectuel et humain déployé par les Frères musulmans pour islamiser l’Europe. « Pendant presque un mois, raconte Florence Bergeaud-Blackler, il n’est rien passé, puis les attaques ont commencé. »

Elles ne viennent pas de trolls agissant sous pseudonymes, mais de personnalités en vue, comme l’avocat Rafik Chekkat, le militant indigéniste belge Souhail Chichah ou le chercheur émérite François Burgat, ex-directeur de recherche du CNRS, figure de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam), où Florence Bergeaud-Blackler a également travaillé.

L’islamologue François Burgat à l’offensive

Sur son compte Twitter, entre le 25 février et le 7 avril, ce dernier a tweeté ou retweeté 85 messages ciblant explicitement son ex-collègue, avec une pointe à six messages dans la même journée (le 11 mars). « Et encore, il en a effacé », soupire l’intéressée. « Brutale dérive identitaire », « texte ahurissant », « escroquerie intellectuelle », « anti-islamisme obsessionnel », « criminalisation sectaire des courants dits fréristes », Florence Bergeaud-Blackler « en a fini avec l’honnêteté intellectuelle », tonne le chercheur âgé de 75 ans (il n’a pas répondu à nos sollicitations).

Peut-être vaguement conscient qu’il passe les bornes, il tente de se dédouaner en invoquant Pierre Bourdieu : « La critique scientifique doit parfois prendre la forme d’une critique ad hominem. » C’est bien de cela qu’il s’agit. François Burgat martèle que Florence Bergeaud-Blackler « n’a strictement rien lu des auteurs qu’elle calomnie », il dénonce « l’indigence absolue de son argumentation hors sol », mais sans répondre sur le fond.

On veut la faire taire et intimider ceux qui auraient des velléités de parler.Thibault de Montbrial, avocat de Florence Bergeaud-Blackler

Dans son livre, Florence Bergeaud-Blackler le cite 18 fois, notes comprises. Elle critique certaines de ses positions, en particulier son idée assez déroutante de « dissocier l’islamisme de la religion ». Elle relève sa connaissance superficielle des musulmans en France, qui lui vient, dit-il, de « rencontres opérées en marge de conférences ». Elle s’attarde surtout sur son rôle pivot dans le dispositif de propagande frériste.

« François Burgat s’est fait, durant toute sa longue et confortable carrière de fonctionnaire, le porte-parole des intérêts des mouvements islamistes et, depuis sa retraite, du frérisme européen en épousant la thèse de l’islamophobie d’État. » L’accusation ne tombe pas du ciel. François Burgat est codirigeant du Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep), financé par le Doha Institute et Qatar Charity. Cette dernière organisation est régulièrement citée comme soutien des réseaux fréristes partout dans le monde.

Djihadisme d’atmosphère

Impossible de relier les menaces proférées contre Florence Bergeaud-Blackler et la campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux, mais difficile de ne pas faire le lien. Gilles Kepel, lui-même placé sous protection policière en 2016, évoque, dans sa préface, ce qu’il appelle le « djihadisme d’atmosphère ». Comme le relève l’anthropologue Fadila Maaroufi dans une tribune publiée par Atlantico, ceux qui attaquent Florence Bergeaud-Blackler valident paradoxalement ce que dit son livre. Il existe un réseau, aux contours incertains mais à l’agressivité indéniable. « On veut la faire taire et intimider ceux qui auraient des velléités de parler », résume son avocat, Thibault de Montbrial.

À en juger par la réaction du CNRS, le résultat est atteint. Dire que Florence Bergeaud-Blackler bénéficie de la protection fonctionnelle n’est pas une prise de position. C’est un simple rappel d’une réalité réglementaire : les fonctionnaires ont droit à une protection contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes dans l’exercice de leurs fonctions. L’institution fait le service minimum. En d’autres circonstances, elle a pourtant publié des communiqués vibrant d’indignation, contre l’emploi du terme islamogauchisme (février 2021), l’invasion de l’Ukraine (mars 2022), Didier Raoult (juin 2021), Monsanto (mars 2019), etc.

Contactée par Le Point, la tutelle du CNRS a été plus claire. « Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et la ministre Sylvie Retailleau condamnent fermement les menaces de mort subies par madame Bergeaud-Blackler » et rappellent que la recherche doit rester « un terrain de liberté d’expression, de respect de l’autre et donc de respect de la loi ». Une marque directe de soutien et un rappel à des notions élémentaires, c’était apparemment trop demander au CNRS.

Source Le Point