You are currently viewing Attentat déjoué du Thalys en 2015 : la perpétuité requise contre le tireur Ayoub El Khazzani

L’audience, mardi, a détaillé « la chaîne improbable d’actions » des cinq héros qui ont fait avorter l’attentat.

Par Jean Chichizola

« Ces cinq hommes, qui sont-ils ? Pénalement, des victimes. Mais en fait des acteurs qui ont fait que le crime qu’ils ont subi ne devienne pas l’un des plus sanglants de l’histoire de la France contemporaine. » À entendre la plaidoirie de Thibault de Montbrial, habitué des dossiers terroristes, on sentait qu’elle n’était pas pour lui tout à fait comme les autres. Mardi, il s’exprimait en effet au nom de quatre des « cinq du Thalys », le cinquième étant représenté par Me Chantal Bonnard. Cinq passagers qui ont évité le pire ce 21 août 2015.

Pour leur rendre justice, l’avocat ramène la cour d’assises à ce jour d’été. Et l’embarque dans un exercice de justice-fiction inhabituel mais tragiquement pertinent. Il décrit le spectacle qu’auraient découvert les policiers si le massacre avait eu lieu : « Du sang partout, partout où ils regardent des corps désarticulés. L’odeur de la mort car la mort violente a une odeur. Deux heures plus tard, quand les sacs (contenant les corps) sont alignés sur le quai, le silence brisé par les sonneries des portables des morts. On relève 185 tués et 78 blessés, le soir même le président de la République décrète l’état d’urgence. » D’un lieu clos à un autre, l’effet est bien sûr recherché : on songe aux 90 morts du Bataclan et au spectacle insoutenable du 13 novembre 2015. Et cette évocation audacieuse fait définitivement un sort à « l’attentat raté du Thalys ». « La seule différence, lance l’avocat à la cour, entre ce que je viens de décrire et ce qu’il y a dans le dossier, c’est la chaîne improbable d’actions de cinq hommes qui ont dit non. »

Me de Montbrial les décrit comme des « grains de sable », et la modestie de l’image leur sied bien. Quelques minutes plus tôt, Me Nathalie Dreux, avocate d’une société chargée de la restauration à bord du Thalys et de Shauna, employée âgée de 20 ans au moment des faits, évoquait des « messieurs tout le monde courageux » que la jeune femme voulait revoir et remercier. Et l’avocate de tordre le cou aux critiques « contre les pauvres gens du personnel à bord, paniqués, terrorisés, pensant qu’ils allaient mourir » et au sentiment d’injustice éveillé par ces critiques. À chacun en tout cas, sans juger, de s’interroger sur l’attitude qui serait la sienne en pareille circonstance. Décrite par son avocat, Me Louis Balling, l’action de Christopher Norman fait également réfléchir : « Quand le terroriste approche, (il) se terre, se cache sous (son) fauteuil. Mais il y a plus courageux, plus fou (que lui) ». Et Chris Norman fonce à son tour pour aider à maîtriser le tireur. Car le courage d’un autre a réveillé le sien.

«Grains de sable»

Qui sont donc ces hommes, un Français, un Franco-américain, trois Américains (devenus Français depuis, à leur demande) qui sauvent les terrorisés, qui transmettent leur courage aux autres ? Des super-héros, des commandos en villégiature ? « Ce ne sont pas des combattants entraînés, explique Me de Montbrial : un professeur d’anglais (Mark Moogalian, présent dans la salle avec son épouse Isabelle), un banquier (Damien, qui tient à conserver l’anonymat et n’a pas assisté au procès), un étudiant (Anthony Sandler), un infirmier (Spencer Stone, qui exerçait à l’époque… dans le service pédiatrique d’une clinique de l’US Air Force). Seul Alek Skarlatos avait, comme membre de la Garde nationale, une formation de fantassin mais on est loin des forces spéciales. » Pour l’avocat, trois facteurs expliquent le succès de ces cinq « grains de sable », qui ont agi « par altruisme » : « la vigilance, la détermination et la chance ».

Vigilance et détermination de Damien, qui empoigne le terroriste dès qu’il sort des toilettes du Thalys, de Mark, qui se saisit de la Kalachnikov avant d’être visé et de frôler la mort, de Spencer, qui fonce et neutralise le tueur. Et la chance qui veut qu’un incident de tir, établi par l’enquête, empêche le terroriste d’abattre l’Américain. En conclusion, Me de Montbrial est revenu sur « l’héritage » de ce procès et le legs que nous laissent ces cinq hommes qui ont pris « le risque du sacrifice » : « Il n’y a pas de fatalité, on n’est pas obligé de subir. Dans le respect de nos valeurs, de notre droit, nous devons nous battre ». Et de lâcher : « nous pouvons dire à nos adversaires : vous nous haïssez, vous voulez nous détruire, notre réponse c’est le Code pénal ». À l’issue d’un long réquisitoire, l’accusation a demandé mardi soir la perpétuité pour Ayoub El Khazzani (avec 22 ans de sûreté) et des peines de 25 et 30 ans pour les accusés Mohamed Bakkali, poursuivi pour avoir ramené El Khazzani en Belgique, et Bilal Chatra, « éclaireur » du terroriste sur la route des Balkans et possible deuxième tireur du Thalys avant de faire défection. Et huit ans pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle » pour le dernier accusé, Redouane El Amrani Ezzerrifi.

Source Le Figaro