A un an du procès très attendu des attentats du 13 novembre 2015, les avocats des parties civiles sont déjà largement mobilisés. Afin d’arriver à traiter le million de pages qui composent le dossier d’instruction, une organisation exceptionnelle se met en place.
1700 parties civiles, 20 accusés, 6 mois d’audience… Les 300 avocats qui préparent le procès des attentats de Paris, prévu en janvier 2021, font face à un travail colossal. Fin novembre, le parquet national antiterroriste a ordonné le renvoi de 20 personnes devant la cour d’assises spéciale de Paris, parmi lesquelles Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos du 13 novembre 2015.
Ce soir-là, des hommes lourdement armés, divisés en trois groupes, ont coordonné des attaques sanglantes au Stade de France, dans des bars et restaurants de l’est parisien et au Bataclan. Bilan: 130 morts et des centaines de blessés.
Un dossier d’instruction d’un million de pages
Après quatre années d’enquête tentaculaire entre la France et la Belgique, la justice française s’apprête à débattre sur l’attentat le plus meurtrier que le pays ait connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et, à un an du procès, les avocats du 13-Novembre font déjà face à une contrainte de taille: un dossier d’instruction lourd de plus d’un million de pages.
« C’est inédit », « massif », « du jamais vu », concèdent plusieurs avocats contactés par BFMTV.com.
« C’est colossal », abonde Me Gérard Chemla, avocat de plusieurs parties civiles. Au fil des mois et des années, les compte-rendus des enquêtes de police, des auditions des témoins, des accusés, les rapports d’expertises, et les analyses scientifiques se sont amoncelés. Alors, le pénaliste rémois a détaché un membre de son cabinet chargé de décortiquer toutes ces pièces.
« Il y a déjà consacré plus de 3000 heures et en a fait une synthèse d’environ 700 pages », souligne Gérard Chemla.
Pour faciliter ce travail préparatoire, un « groupe de contacts » a été mis en place et regroupe entre 100 et 150 avocats des parties civiles. « La vice-Bâtonnière du barreau de Paris, Dominique Attias, avait réclamé la formation de ce groupe après les attentats pour que les avocats travaillent ensemble sur les demandes d’indemnisation des victimes. On s’est rendu compte que le travail allait être tout aussi titanesque au pénal et qu’il fallait, là encore, se fédérer », nous raconte Me Héléna Christidis qui représente une quinzaine de parties civiles. Les avocats qui ont pris part au projet se répartissent le dossier d’instruction par thématiques de procédure.
« On fait des demandes d’actes, on organise un suivi… Ca nous permet de ne passer à côté de rien et, ainsi, d’être le plus complet possible le jour du procès, pour porter au mieux la parole des victimes », ajoute l’avocate très active au sein du « groupe de contacts ».
« C’est une formidable initiative », salue un autre avocat des parties civiles, Me Thibault de Montbrial. « Heureusement que le groupe de contacts a été créé, car sinon nous n’aurions pas les moyens de lire l’intégralité du dossier », nous explique-t-il. Même son de cloche du côté de Me Gérard Chemla: « Sans le groupe de contacts je devrais me consacrer uniquement à ce dossier pendant toute une année, or financièrement ce n’est pas possible. » « On ferait faillite au bout de trois mois », souligne Thibault de Montbrial qui rappelle que pour cette affaire une majorité des avocats sont payés grâce à l’aide juridictionnelle qui ne peut être perçue qu’après le verdict définitif.
Organiser les plaidoiries
Une fois que l’intégralité du dossier aura été brossée, le « groupe de contacts » pourra s’atteler à la manière dont les avocats se répartiront le temps de parole. Car une question se pose: comment se dérouleront les audiences quand les questions nécessiteront l’intervention de 200 à 300 conseils?
« Quand il y a autant d’avocats et de parties civiles, il y a un risque de redondance. Il faut absolument mettre en place une organisation efficace pour éviter les redites », juge Me Chemla.
« Il faudra que tout le monde soit raisonnable, mais c’est normal que chaque avocat s’exprime pour que la vision de chaque victime soit donnée, ça va dans l’intérêt de tous”, remarque Me Thibault de Montbrial. Le « groupe de contacts » devrait donc organiser les interventions des avocats selon des thématiques précises, choisies par chacun. « Nous avions fonctionné ainsi pour le procès de Jawad Bendaoud: nous avions fait des réunions avec tous les avocats et nous nous étions répartis les thématiques afin de livrer une plaidoirie fluide, avec un fil conducteur », explique Me Héléna Christidis qui représentait des parties civiles au procès du « logeur de jihadistes du 13-Novembre », condamné à 4 ans de prison en appel.
« Je suis très fière du travail que nous avons abattu et de son résultat, je suis persuadée qu’on peut reproduire la même chose pour le procès du 13-Novembre », assure-t-elle.
Salle d’audience ex nihilo
A un an de sa tenue, ce procès très attendu occupe une place déjà très importante dans l’esprit des avocats des parties civiles. Même le lieu des audiences est un sujet de préoccupations et de controverses. En effet, une salle est en cours de construction depuis la mi-janvier, au coeur de l’historique palais de justice de Paris. Brouettes, diables, palettes et barrières font désormais partie du paysage de la salle des pas perdus pour qu’une nouvelle pièce, aux dimensions exceptionnelles, naisse en son sein. Celle-ci sera construite en dur puis démontée à la fin du procès, un choix dommageable selon Me Thibault de Montbrial.
« Cette salle aurait dû être pérenne car il est certain que dans les années à venir, nous aurons d’autres procès de cette ampleur. On ne va pas engager des travaux d’un an à chaque fois, c’est une perte de temps et d’argent », estime-t-il.
Autre écueil: le manque de place, selon Me Christidis. La salle comptera 550 places, « or nous avons 1700 parties civiles, sans compter leurs avocats, les accusés, la sécurité qui doit les accompagner… Cette salle n’est pas adaptée. Nous devrons faire un tri pour savoir qui pourra y accéder, c’est terrible », reproche-t-elle. Alors, la chancellerie étudie la possibilité de créer une web-télé – une première – pour permettre aux parties civiles qui ne pourraient pas assister au procès de le suivre en simultané grâce à un canal dédié, avec un code de sécurité qui leur serait remis.
« Le problème est de se retrouver dans une salle où les victimes ne pourront pas être au contact des accusés. Elles auront l’impression d’être mises à l’écart », déplore Me Chemla. Pour que les victimes vivent un procès serein et réparateur, « elles ont besoin de voir leurs bourreaux et surtout d’être vues. Les débats doivent se faire les yeux dans les yeux. »