PARIS (Reuters) – Le parquet général de Paris s’est opposé lundi à une enquête sur une affaire de corruption présumée lors de la présidentielle de 1995, qui serait la cause indirecte de la mort de 11 Français dans l’attentat à Karachi.
Lors de la première audience publique sur ce dossier où le nom de Nicolas Sarkozy est cité, les deux avocats des familles de victimes de cet attentat de 2002 ont exhorté la chambre de l’instruction à prendre une décision contraire.
La chambre a mis son arrêt en délibéré au 31 janvier, après avoir décidé, fait rare dans ces audiences techniques, d’ouvrir ses portes au public, notamment aux familles des victimes.
Le parquet, lié en France au pouvoir exécutif, a provoqué ce litige en faisant appel d’une décision rendue en octobre par le juge d’instruction indépendant Renaud Van Ruymbeke.
Statuant sur une plainte des victimes de l’attentat, ce dernier a jugé possible juridiquement d’enquêter pour corruption et abus de biens sociaux car il existe un soupçon de lien entre l’attentat et des malversations en France.
Le représentant du parquet général, Louis Wallon, a demandé que cette décision soit annulée. Il soutient que les faits de corruption sont prescrits et que, de toute manière, les victimes ne peuvent provoquer l’enquête.
« Pour les deux infractions, le ministère public considère que les parties civiles sont irrecevables dans leur démarche, car elles n’ont pas subi de préjudice personnel et direct du fait de la corruption et des abus de biens sociaux », a-t-il dit.
« DISSIMULATION »
Me Olivier Morice, avocat des familles de victimes, lui a répliqué en estimant qu’il maquillait sous un argumentaire juridique une volonté de cacher les soupçons de corruption portés à la connaissance du parquet, a-t-il rappelé, dès 2007.
« C’est un dévoiement de la recherche de la vérité. Vous ne souhaitez pas que les parties civiles soient à vos côtés, car depuis le début, vous êtes dans la dissimulation », a-t-il dit.
Seul jusque là sur ce dossier, Me Morice est désormais épaulé par un autre avocat, Me Thibault de Montbrial, qui représente des blessés de l’attentat.
Ce dernier a dit aussi penser que l’affaire dérangeait le pouvoir. « De nombreuses institutions tentent de limiter la progression de cette affaire dans certaines directions », a-t-il dit dans sa plaidoirie.
Dans le cadre d’une première enquête criminelle sur cet attentat d’abord attribuée au terrorisme islamiste, la justice française a mis à jour des éléments laissant penser qu’il a été commis par vengeance et sur fond de corruption.
Les victimes françaises de Karachi, des techniciens de la Direction des constructions navales, travaillaient en effet sur un contrat de livraisons de sous-marins français signé en septembre 1994, sous le gouvernement d’Edouard Balladur.
Le contrat prévoyait de verser à des décideurs pakistanais 84 millions d’euros, selon le dossier évoqué à l’audience par le président de la chambre de l’instruction.
Ce dernier a aussi exposé que l’enquête ouvrait « l’hypothèse » d’un financement de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995, par un retour frauduleux en France d’une partie de cet argent.
Jacques Chirac, rival d’Edouard Balladur, a fait stopper les paiements une dois élu, toujours selon le dossier public.
L’hypothèse de travail est que l’attentat de Karachi serait une conséquence lointaine de cette décision.
Le nom de Nicolas Sarkozy apparaît dans un rapport de la police luxembourgeoise, qui lui impute un rôle, en qualité de ministre du Budget (1993-1995), dans la création de structures financières destinées à recevoir l’argent de la corruption. Nicolas Sarkozy a contesté avoir eu ce rôle.
Si la chambre de l’instruction refuse l’enquête, les victimes peuvent se pourvoir en cassation et le juge Van Ruymbeke pourra continuer son travail sur des faits périphériques et plus limités d’entrave à la justice.
Par ailleurs, il pourra aussi enquêter dans le cadre d’une autre procédure ouverte en décembre sur un autre marché d’armement en Arabie Saoudite conclu aussi sous le gouvernement Balladur, où il est question de 200 millions d’euros de commissions douteuses.