Il est 05h38, en ce 21 février 2013. Sur le périphérique parisien, un véhicule de police tente d’intercepter un véhicule Range Rover…

à bord duquel le conducteur s’est livré à de multiples infractions au code de la route. Le chauffeur ne se laisse pas intercepter, et accélère, continuant sa route sur le périphérique parisien.

Sept minutes plus tard et six kilomètres plus loin, deux hommes, qui se trouvaient à bord du véhicule, sont arrêtés.

Sept minutes au cours desquelles Boris Voelckel, 32 ans et Cyril Genest, 40 ans trouveront la mort. Sept minutes au cours desquelles, Frederic Kremer, chauffeur du véhicule, sera gravement touché, son pronostic vital étant engagé. Sept minutes, au cours lesquelles le Range Rover, roulant à environ 150km/h viendra percuter, par l’arrière, la Ford Mondéo de la BAC Nuit Paris, laquelle roulait, selon les experts, entre 31 et 45km/h. Aucune trace de freinage n’a été constatée sur la scène de crime.

La semaine passée, s’est ouvert le procès, devant la cour d’Assise de Paris, de Malamine Traoré, chauffeur du Range Rover. Son passager sera jugé, lui, en correctionnelle, ultérieurement.

Alors que toute la presse se livrait au live tweet de ce que l’on appelait le procès du « flash-ball », ou encore le procès de la petite Fiona, assassinée, j’ai pu noter qu’aucun récit n’était assuré aux assises de Paris. Certes, les télévisions ont fait quelques sujets; mais aucun suivi sur le déroulement des débats n’est apparu; nulle part. Alors que, à l’inverse, je crois que l’on peut minuter le « procès du flash-ball » comme l’a appelé la presse. De là à dire que le procès de policiers violents intéresse (à juste titre, d’ailleurs), mais plus que la mort de deux d’entre eux… bref.

J’ai donc voulu me rendre compte par moi-même de ce qu’il pouvait se passer à ce procès, même si, bien évidemment, contrairement aux parties, ainsi que la Cour, je n’en ai qu’une infime partie, un instant T. Il se trouve qu’aujourd’hui étaient entendues les parties civiles. A commencer par le Lieutenant Frederic Kremer, aujourd’hui retraité.

Il a survécu… mais à quel prix

Le président commence par une lecture de l’enquête de personnalité. L’on y apprend que, chauffeur au moment des faits, il avait été instructeur des stages « conduite en sécurité » pour la BAC. Stage que j’ai moi-même fait il y a quelques années, où l’on apprend donc à maîtriser sa voiture en cas d’urgence, à se sortir d’un dérapage, freiner au bon moment, etc… Bref, pas un débutant de la conduite.

Frederic Kremer est à la retraite depuis quelques semaines. Après plusieurs mois de rééducation, il avait finalement repris son travail, à la formation. Lorsque je le vois s’avancer à la barre, pour déposer, je pense à un « papy ». Je ne veux surtout manquer de respect à ce collègue; c’est précisément ce que semble dire l’enquête de personnalité, lorsqu’il est dit qu’il a pris « un coup de vieux », suite à cette affaire. L’on apprendra aussi que, quelques années auparavant, ce policier chevronné s’est déjà trouvé en position de grave danger, ayant été sauvé par un de ses collègues, devant un homme ayant une arme à feu. Ou encore qu’il était intervenu sur une attaque de fourgon blindé. Malheureusement, Frederic Kremer ne pourra rien nous dévoiler sur les faits en eux-mêmes; il n’en a aucun souvenir. Toujours est-il qu’il est très marqué. Il se dit lui-même devenu irritable, alors que le moindre petit problème prend désormais, pour lui, des proportions énormes. Répondant à une question du Président, il sera tout de même en mesure de dire que jamais, en 32 an de carrière, dont beaucoup passées à la BAC, il n’avait été percuté par le véhicule d’un fuyard. Et certainement pas par l’arrière. Et pour cause, ce n’est certainement pas en percutant un véhicule de plein fouet qu’il sera possible de prendre la fuite!

Femme de flic; la lourde épée de Damoclès

Elle se prénomme Céline. Elle est la veuve de Boris. Elle s’avance à la barre, une feuille à la main. Le président lui demande si elle souhaite lire l’écrit qu’elle a entre les mains, ou faire une déclaration.

Elle n’a pas encore commencé, l’on aperçoit la feuille déjà tremblante. Elle va commencer le récit. Malamine Traoré est, lui, les coudes sur les genoux, dans le box vitré des accusés, et regarde par terre. Maitre Thibault de Montbrial, avocat de la partie civile est debout, à quelques mètres de sa cliente, qui dépose.

C’est dur. Très dur. Céline n’a pas fini la première phrase, que des larmes accompagnent les sanglots, et la voix tremblante. Elle livre son récit des événements.

«  je venais de me reveiller… les enfants faisaient encore dodo. Je descend les escaliers pour me rendre au salon, pour prendre mon petit déjeuner avec Boris, qui devait être rentré il y a quelques minutes. Je ne le vois pas; je regarde l’heure, en me disant qu’il doit être sur la route ou encore au travail, mais ce n’était pas dans ses habitudes, il me prévenait toujours, quand il était retenu à Paris« 

La salle est plongée dans un silence absolu. Aucun bruit. Pas un vêtement ne bouge. Le temps s’est figé autour de Céline.

 » Je décide d’envoyer un SMS à Claire, la femme de Vincent, qui est collègue de Boris. Au même instant, on sonne à ma porte… ne voyant de réaction de mon chien, je pense que c’est Boris, et qu’il sonne parce qu’il a oublié ses clés la veille. J’ouvre, et là, tout s’effondre; je tombe, je comprend, je pleure, en fixant les deux policiers en tenue ». 

Je crois qu’à cet instant-là, tous les policiers dans la salle ont vécu cette scène. D’abord pour notre collègue, mais aussi pour nos proches, à nous. Difficile, en tous les cas pour moi, de ne pas faire, dans une certaine mesure au moins, de transfert.

« Je leur ai dit, si vous êtes là, c’est qu’il n’est pas blessé, en hurlant; ils me répondent en regardant le sol; Céline, tu as tout compris »

Je dois bien avouer que je suis touché, à cet instant.

« Sous mes cris, mes enfants se réveillent; ils pleurent. Lucie*, est assise au sol, au milieu de la chambre, tenant sa petite tête dans ses petites mains, et se balance d’avant en arrière… Lucie a six ans »… 

Oui, je m’effondre. Ma propre fille a le même prénom que celle de Boris. J’avoue, encore une fois; le transfert est total. La douleur est profonde, que de juste imaginer son propre enfant qui fait face à cela! C’est horrible…

« Nathan* hurle dans sa chambre; il m’appelle, il appelle son papa… Nathan est un bébé, il n’a que 22 mois ». 

Je me retrouve là incapable de regarder Céline. Je fais, je pense, comme tout le monde; je regarde par terre, impossible de retenir mes larmes.

« Nous descendons les escaliers; Nathan sourit aux policiers comme tout les petits garçons; à travers ses yeux, il voit de héros tout comme son cher papa; cette image me hante depuis presque quatre ans et me hantera toujours ». 

Et rapidement, pour Céline, ce sont de formalités qui s’imposent. Probablement la plus dure, aller à l’Institut Médico Légal. Elle qui, alors, ne sait même pas ce qu’est l’IML, va le découvrir, de la plus horrible des manières. A cet instant-même, en écrivant ces mots, à nouveau cette émotion qui me submerge; j’entend la voix de Céline. Je sens ses larmes couler, sa voix tremblante. Mais elle tient. Certes, elle est parfois hésitante. Mais elle tient. C jour-là, elle déposera alors ses enfants chez leur nounou, sans rien leur dire. Bien sur. Trop dur. Pas humain. Puis elle arrive à l’IML

« je ne comprenais pas cela; pourquoi ouvrir le corps de mon amour, pourquoi l’abîmer un peu plus, il ne mérite pas cela. Je vois Aurélie, la femme de Cyril Genest; je ne vais pas la voir tout de suite; j’ai mal pour elle aussi… on m’apprend que Frederic Kremer est entre la vie et la mort; égoïstement, je prie pour que Boris ne se trouvât pas à l’arrière de la Mondeo pour ne pas voir son si beau visage réduit à néant… je comprends que c’est le cas. Un psychologue de l’IML s’approche de moi; elle me parle. Je me souviens de chaque mot ». 

Céline récite alors mot après mot le discours du psychologue, qui la prépare à voir son compagnon, mort.

 » je vois mon amour sous un drap blanc, derrière une vitre; je ne vois que son visage… mon corps se met à trembler, je lui demande ce qu’il fait là… je lui dis «pas toi». » 

Contre toute attente, Céline se voit alors autoriser à aller de l’autre coté de cette vitre; en promettant de ne pas toucher le corps. Forcément, elle ne tiendra pas sa promesse. Pour l’embrasser.

Celle qui est désormais veuve, ne trouvera la force d’annoncer l’horreur à ses enfants qu’une semaine plus tard.

 » A coté de notre lit, il y avait son t-shirt qu’il portait avant d’aller travailler; pour conserver son odeur, je l’ai mis dans un sac en plastique, et je le respirai chaque soir ». 

Comme on ne peut que l’imaginer, les enfants en sont traumatisés; bien évidemment, psychologiquement, Mais aussi au niveau du langage, de tics physiques qui sont apparus, l’enfant pensant que son père l’avait abandonné. Hurlant dès qu sa mère s’éloigne quelque peu, refusant même que son papa soit évoqué, demandant à ce que sa photo du mur de la chambre soit enlevée. Les cauchemars nocturnes, l’invention d’une vie avec son papa…

 » Il y a encore quelques jours, Nathan me disait qu’il a été à la pêche avec son papa, que le bateau était très gros; il m’a dit aussi qu’il était monté dans sa voiture de police; il regarde souvent le ciel quand il entend un avion; il me fait voir en me montrant du doigt; « ça, c’est mon papa, il me dit bonjour». Boris me remerciait toujours de lui avoir offert une si jolie famille; une femme si jolie, amusante, deux magnifiques enfants. Nous avions tellement de projets; c’était l’homme de ma vie… la police, c’était sa passion. Nous voulions un vrai mariage ». 

Oui, là je comprend; et Céline le confirmera plus tard. Elle s’est mariée… à titre posthume; étant, le jour-même, veuve.

« Boris n’était pas à mes cotés; je prendrai soin de la prunelle de tes yeux, c’est à dire ton petit garçon que tu appelais Bidou; tu seras pour toujours dans mon coeur ».

Céline se tourne alors vers le box des accusés.

« regarde-moi… pourquoi… » plusieurs formules tournent « pourquoi, pourquoi »… deux, trois, cinq questions fusent. Je suis incapable de vous les répéter, tellement c’est dur. Et elle regarde l’accusé, fixement. Et j’avoue que je ne sais même pas si Malamine Traoré la regarde. Il me semble que oui. Elle finira « tu nous a tout pris. Tu as brisé notre vie; mon petit garçon n’a plus de papa. Va brûler en enfer ».

Bien évidemment, aucune question, de personne, ne s’en suivra; pas plus la Cour, que les avocats de la partie civile, et encore moins la défense.

Un quart d’heure. Le monde s’est arrêté pendant quinze minutes, écoutant chacun des mots prononcés par Céline Voelckel.

Aujourd’hui, j’ai pris une claque. Forcément. Aussi dur cela soit-il, j’avais à cœur d’être présent. Oh, je ne connaissais ni Boris, ni aucun des autres membres de cet équipage de la BAC. Il s’agit-là, devant vous, de rendre avant tout hommage à ces collègues. Etre là, avec eux, leurs familles, leurs collègues proches. Parce que la Police, contrairement à ce que l’on pourrait en lire dans la presse, ce ne sont pas que des hommes (ou des femmes) violents. Certains paient aussi le plus lourd tribu qui soit, au nom de la France, pour vous… nous protéger. Et ces policiers, en tenue, ou en BAC, sont en première ligne. Parce que, comme l’a si bien dit Frederic Kremer, eux ne savent pas, lorsqu’ils interviennent, à qui ils ont à faire. Ce jour-là, ils ne savaient pas qu’ils faisaient face… à un criminel. Ou plutôt qu’ils lui tournaient le dos. Un impact à 150km/h; pas un coup de frein…

Je garderai également, ce soir, en mémoire, cette phrase, de Frederic Kremer, qu’il a citée devant la Cour, mais qu’il a probablement dit souvent à ses propres collègues. Cette phrase, que nous, policiers, gendarmes, ou douaniers, devons nous répéter chaque jour, inlassablement, et ne jamais oublier  » l’essentiel, c’est de rentrer à la maison ». 

Boris et Cyril ne rentrerons plus à la maison. Tachons de ne jamais l’oublier.

* les prénoms des enfants mineurs ont été modifiés

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