Depuis le début du siècle, c’est de l’autre côté de l’Atlantique qu’ont été portés quelques-uns des coups les plus rudes jamais encaissés par des sportifs.
C’est toujours un peu la même histoire. La plume, puis l’enclume. Preuve en est le coup de filet, comme au cinéma, de la police suissemandatée par la justice américaine qui a arrêté, mercredi 27 mai à Zurich, sept hauts dignitaires de la Fédération internationale de football (FIFA) pour corruption présumée. La presse fait les trois-huit, donne des coups de pied dans la fourmilière, sécrète quelques éclaboussures de fiel, essuie les plâtres, publie des révélations, parfois accablantes… qui n’ont souvent d’autre rôle que de préparer le terrain pour les vrais « pros », ceux qui prononcent les avis de démolition, les super justiciers américains. Frustrant pour les journalistes ? Non, répond l’Irlandais David Walsh, journaliste au Sunday Times. Cet auteur de nombreuses enquêtes sur le système Lance Armstrong dans le cyclisme – dont le livre L.A. Confidential, coécrit avec le journaliste français Pierre Ballester (La Martinière, 2004) – mesure la différence de combativité judiciaire de part et d’autre de l’Atlantique, tout en soulignant l’apport des médias à la justice américaine : « Si la presse n’avait pas sorti ces affaires, le parquet de New York aurait eu sans doute moins de données pour lancer ses enquêtes, et l’opinion publique aurait été moins sensibilisée. Le Britannique Andrew Jennings, de même que certains journalistes allemands, a publié de bonnes enquêtes sur la FIFA. Les autorités américaines se servent de ce travail, elles prennent la suite des bons journalistes. »
De fait, depuis le début du XXIe siècle, c’est de l’autre côté de l’Atlantique qu’ont été portés quelques-uns des coups les plus rudes jamais encaissés par des sportifs. En 2003, l’opiniâtreté de Jeff Novitzky, agent de la Food and Drug Administration (FDA), qui réglemente les produits alimentaires et pharmaceutiques aux Etats-Unis, a fortement contribué à la déchéance, pour dopage, de la triple championne olympique Marion Jones, et de toute une série d’athlètes américains dans l’affaire dite Balco. En 2013, ce sont les enquêtes du chef de l’agence américaine antidopage (Usada), Travis Tygart, qui ont poussé Lance Armstrong, septuple vainqueur du Tour de France, à passer aux aveux et à reconnaître que ses habitudes médicamenteuses n’étaient pas étrangères à sa domination sur le cyclisme mondial des années 2000. Et ce 27 mai, donc, c’est sur décision du parquet de New York que la police suisse a pu s’attaquer à la plus opulente des institutions sportives internationales, la FIFA, et pousser son indéboulonnable patron, Joseph Blatter, à la démission, quatre jours après sa réélection.
« La justice des Etats-Unis n’a aucun état d’âme »
Alors, comment se fait-il que les Américains parviennent à fourrer leur nez dans des affaires qui ne les concernent parfois que de loin alors que la vénérable justice de la Vieille Europe ne bouge pas le petit doigt ? « La justice des Etats-Unis n’a aucun état d’âme, assène Thibault de Montbrial, qui en tant qu’avocat d’une compagnie d’assurances américaine a combattu Lance Armstrong pendant des années. Je n’écartais pas la possibilité d’une telle intervention depuis que le rapport Garcia [consacré aux dérives supposées de la Fédération internationale de football] avait été enterré par la FIFA. Des suites pénales étaient à attendre. Ils ont voulu créer une onde de choc, un état de sidération. L’unité de lieu et de temps de ce coup de filet, en marge du congrès de la FIFA, était voulue. Si ce n’est pas coordonné, il y a des risques de destruction de preuves. De plus, cela provoque un effet de peur pour ceux qui n’ont pas encore été arrêtés. »
Il faut sans doute être un justicier américain mal élevé pour oser interpeller au petit matin des vice-présidents de la FIFA dans un palace 5 étoiles suisse et leur faire subir une humiliante et redoutable extradition. « Aux Etats-Unis, si la justice a des éléments tangibles, elle ne se pose pas la question de savoir s’il faut protéger les puissants, poursuit Thibault de Montbrial. En France, il y a une déférence, une sacralisation autour du sport. Le public est assez indifférent à ces affaires, beaucoup de politiques sont amis avec des sportifs. Sauf dans des cas où les preuves sont flagrantes ou bien s’il y a une volonté politique de créer une impulsion, il est impossible d’aller au bout des choses. En 1998, si Marie-George Buffet [alors ministre des sports] ne s’était pas battue pour son projet de loi sur le dopage, il n’y aurait pas eu l’affaire Festina. » Qui, de ce côté-ci de l’Atlantique, demeure l’exception qui confirme la règle.
Une autre affaire de tricherie potentielle, qui aurait pu se transformer en une véritable bombe, ne fit finalement qu’un joli « pschitt », rappelle l’avocat : « Avant la Coupe du monde 1998, au plus haut niveau de l’Etat, on s’est employé à ne pas faire de misères à l’équipe de France de football autour des contrôles antidopage. Des livres évoquent même l’intervention personnelle du président Chirac. Le simple fait de rappeler que Zinédine Zidane et Didier Deschamps évoluaient alors à la Juventus de Turin, prise dans un scandale de dopage organisé, judiciairement établi et dont les faits ont été débattus en audience publique, reste tabou. »