Par Paul Conge
Visuel : Capture d’écran Youtube / BarakaCity France
Idriss Sihamedi, agitateur controversé à la tête de cette ONG proche du salafisme, doit répondre ce vendredi 18 décembre devant le tribunal correctionnel de 80 tweets véhéments qu’il a expédiés à Zineb El Rhazoui, exposant des éléments sur sa vie privée.
Arrive au tribunal de Paris une affaire de cyberharcèlement qui avait indigné jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Vendredi 18 décembre, le fondateur de BarakaCity, une ONG salafiste dissoute par décret après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, sera jugé pour harcèlement en ligne à l’encontre d’une ex-journaliste de Charlie Hebdo. Entre les 23 et 29 septembre derniers, Driss Yemmou, alias Idriss Sihamedi, s’en prenait ouvertement à la chroniqueuse Zineb El Rhazoui sur le réseau social Twitter.
Au cours de ce pilonnage public, cet agitateur de 36 ans, depuis de longues années dans le viseur des services de renseignement, entendait dénoncer, tweet après tweet, une femme « imbue de sa personne », sa « cupidité », sa « fourberie déconcertante », la surnommant « la plus grande lâcheté de ce pays ». Prolifique, Sihamedi rédigeait 80 de ces tweets provocateurs et divulguait maints éléments sur sa vie privée ou les activités de son époux. Des messages souvent accompagnés du hashtag #BalanceZinebElRhazoui, ensuite repris ensuite en masse par sa communauté de plus de 41 000 abonnés qui, à leur tour, composaient des missives, pour certaines injurieuses. Cette vaste campagne avait à l’époque attiré à l’ancienne journaliste de « Charlie » de nombreux messages de sympathie, dont celui du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
Zineb El Rhazoui, qui vit sous protection policière depuis les attentats de janvier 2015, a depuis déposé plainte. Le parquet de Paris a renvoyé Idriss Sihamedi devant la 17e chambre correctionnelle. Aux yeux de Thibault de Montbrial, avocat d’El Rhazoui, on se trouve « sans l’ombre d’un doute » dans un authentique cas de cyberharcèlement, ces tweets ayant été expédiés « par tir groupé, dans un laps de temps très réduit, avec un hashtag de nature à amplifier leur visibilité et qui s’en prennent, en mélangeant le vrai et le faux, à la vie privée de Zineb. » Leur auteur s’expose à une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
LES RÉVÉLATIONS D’UN « JOURNALISTE »
Idriss Sihamedi a été placé en garde à vue le 20 octobre. Auditionné pendant 8 heures, il a dit toute sa « surprise » aux policiers, et « justifiait ces publications en indiquant agir comme journaliste avec un seul objectif, informer et placer dans le débat public les contradictions », selon un rapport signé par un commandant de police, que Marianne s’est procuré. L’officier poursuit : « Cela justifiait, à ses yeux, l’utilisation d’éléments relevant de sa vie personnelle qu’il disait être publique. »
« Il n’avait pas d’intention de porter atteinte à Madame Rhazoui », enchérit son avocat, Me Samim Bokaly, qui se cramponne à la même ligne de défense : un journaliste indépendant officiant sur Twitter. Quitte à comparer les effets des « révélations » de son client sur la vie privée de Zineb El Rhazoui à celles… des investigations de Mediapart. « Ils ont sorti 66 articles sur l’affaire Sarkozy, qui ont engendré 40.000 tweets qui l’ont mentionné. Pourrait-on considérer qu’il subit du cyberharcèlement ? », questionne le pénaliste. Mais M. Sihamedi pourra-t-il vraiment se prévaloir devant le tribunal d’un statut de journaliste, une profession strictement encadrée ?
Le pénaliste reste confiant, estimant se trouver dans un « terrain vierge au niveau du droit ». Si ce dossier fera sans doute office de crash-test pour cette forme de dénonciation sur les réseaux sociaux, et si la jurisprudence est encore extrêmement jeune, les cas de cyberharcèlement se font toutefois de moins en moins rares devant les tribunaux. Un délit créé le 4 août 2014 sanctionne « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet (…) une altération de sa santé physique ou mentale ». La peine encourrue est plus lourde si cela a lieu en ligne. « Le fait de taguer quelqu’un sur un réseau social, et d’inciter d’autres à le faire, c’est équivalent à du harcèlement téléphonique », réagit Eric Morain, avocat au barreau de Paris qui avait défendu la journaliste Nadia Daam, victime d’un harcèlement en meute par des pensionnaires du forum « 18-25 » du site Jeuxvideo.com en octobre 2017, affaire emblématique de ces dernières années.
LA MÉCANIQUE DE L’HORREUR
Me Montbrial pointe cette fois le profil islamiste de l’auteur : « Zineb est tout ce qu’il combat, une apostat de l’islam. Il s’en prend à elle en sachant qu’il va déclencher sur elle une espèce de cyber-orage, en déchaînant une meute, dont il ne peut ignorer qu’une partie est capable d’un passage à l’acte violent. » En septembre, au milieu des injures, un internaute avait même dévoilé son adresse personnelle. Identifié par les policiers, il s’agissait d’un membre d’Egalité & Réconciliation, le groupuscule d’extrême droite formé par Alain Soral. L’individu a été entendu mais laissé libre. Me Montbrial a ensuite demandé à renforcer sa protection policière d’El Rhazoui, cet enchaînement des faits n’étant alors pas sans rappeler la mécanique de l’horreur qui avait conduit à la décapitation de l’enseignant Samuel Paty, enclenchée par la publication d’une vidéo du prédicateur Abdelakim Sefrioui. Selon nos informations, la section antiterroriste de la brigade criminelle de Paris a un temps envisagé de s’emparer de l’affaire.
Devant le tribunal, Me Bokaly s’attèlera à dégonfler l’affaire en convoquant un courriel envoyé par Zineb El Rhazoui à Idriss Sihamedi, peu après les faits, dans lequel elle écrit qu’elle n’est « absolument pas touchée » par cette campagne de tweets. Comme l’expliquera ensuite la journaliste aux policiers, elle aurait envoyé ce message dans la panique, après que Sihamedi a dévoilé dans un tweet la première lettre du nom de sa fille. Un acte qui aurait eu pour effet d’amplifier le « sentiment d’insécurité dans lequel elle se trouvait déjà », selon le rapport de police.
Sihamedi n’en était quant à lui pas à son premier coup d’essai. Quelques jours plus tôt, il s’adonnait au même exercice en expédiant 120 tweets à la chroniqueuse de RMC Zohra Bitan. Des messages pour lesquels il sera jugé en février par le tribunal d’Evry.