La direction de Renault envisage de plus en plus le scénario d’une manipulation interne, plus de trois mois après le déclenchement de l’affaire présumée d’espionnage industriel.
Plus de trois mois après le début de l’affaire, l’enquête patine sur les soupçons d’espionnage industriel chez Renault. Aucune trace d’espionnage imputable aux trois cadres pourtant licenciés pour ces faits n’a été mise au jour.
Alors que l’enquête se poursuit, chaque nouvel épisode de ce feuilleton médiatico-judiciaire apporte des arguments à la thèse d’une manipulation. Et ce qui était au départ une affaire sérieuse d’espionnage industriel ne pourrait être qu’un simple bidouillage. Retour sur un dossier de plus en plus gênant pour la direction de Renault.
Acte I. Renault accuse et licencie trois de ses cadres dirigeants
L’affaire est déclenchée en janvier avec la mise à pied de trois cadres du technocentre de Guyancourt (Yvelines), révélée dans la presse. La direction de Renault soupçonne les trois salariés d’avoir divulgué des informations secrètes à l’extérieure de l’entreprise. Les fuites concerneraient le programme de véhicules électriques, dont la sortie est prévue en 2012. Renault se refuse à donner plus de précisions. Cette mise à pied découle d’une enquête interne menée depuis août 2010 sur ces trois salariés.
Qui sont ces cadres à qui des « faits graves » sont reprochés ? Là aussi, la direction de l’entreprise n’est pas très loquace, leur identité est révélée plus tard dans la presse : il s’agit de Michel Balthazard, membre du comité exécutif, de son adjoint Bertrand Rochette, et de Matthieu Tenenbaum, directeur adjoint du programme de voitures électriques.
Alors que le verrouillage de la communication chez Renault alimente les spéculations sur ces prétendues fuites, Eric Besson, le ministre de l’industrie, n’hésite pas à employer l’expression de « guerre économique » au sujet de cette affaire. Selon Le Figaro, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), saisie par l’Elysée, s’intéresse de près à la piste chinoise.
Une révélation en appelant une autre, Le Point dévoile de son côté que les cadres soupçonnés d’espionnage auraient été rémunérés sur des comptes à l’étranger en échange de brevets « en attente d’être déposés ». Ces accusations visant la Chine provoquent bientôt la colère du principal concerné, qui les juge « totalement sans fondement, irresponsables et inacceptables », à travers le porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois, Hong Lei.
L’affaire prend de l’ampleur avec la première prise de parole d’un dirigeant de Renault. Patrick Pélata, directeur général délégué, affirme au Monde qu’aucune « pépite technologique, stratégique sur le plan de l’innovation n’a pu filtrer en dehors de l’entreprise ». Et soutient la thèse d’une « filière organisée internationale ». Signe que l’affaire est prise au sérieux au plus haut niveau, Renault porte plainte le 13 janvier contre X, et non contre les trois cadres incriminés, pour « des faits constitutifs d’espionnage industriel, de corruption, d’abus de confiance, de vol et recel, commis en bande organisée ».
En retour, Matthieu Tenenbaum et Michel Balthazard portent plainte contre X pour « dénonciation calomnieuse ». Bertrand Rochette dépose lui plainte pour « diffamation non publique ». Ce dernier, qui se sent « trahi » par Renault après vingt-deux années de travail, demande à être réintégré dans l’entreprise.
Acte II. La fin des certitudes, l’hypothèse de la « manipulation »
Après Patrick Pélata, c’est au tour de Carlos Ghosn de sortir de son silence en s’exprimant au journal télévisé de TF1 et au Journal du dimanche. A ceux qui l’accusent de mauvaise gestion de l’affaire et notamment d’avoir tardé à alerter les services de renseignement, le patron de Renault rétorque : « Il fallait faire nous-mêmes des premières recherches pour nous forger une opinion sur la gravité de l’affaire. » Assurant avoir des « certitudes » et disposer de preuves « multiples » qui justifient la plainte contre X.
Alors que les doutes commencent à s’installer sur le fond de l’affaire, une perquisition a lieu au siège de Renault à Guyancourt, révèle Le Parisien. L’avocat de Renault, Me Reinhart, dénonce cette divulgation dans la presse.
L’absence de preuve devient de plus en plus problématique au fil des révélations : Renault aurait eu recours à un salarié de la société privée de renseignement Geos pour mener son enquête interne, selon Le Canard enchaîné. L’absence de comptes en Suisse de Mathieu Tenenbaum, l’un des cadres licenciés, achève de semer le doute quant au sérieux de l’enquête interne menée par Renault. La direction refuse de réagir.
L’hypothèse du règlement de comptes interne est évoquée pour la première fois le 26 février par Le Parisien. D’après le journal, la DCRI orienterait ses recherches sur l’entourage d’un des cadres licenciés, émettant la possibilité d’une taupe au sein de l’entreprise.
L’enquête se dégonfle. Le malaise chez Renault est de plus en plus perceptible. Le numéro 2 du constructeur s’en fait l’écho le 2 mars lors d’une entrevue avec le premier ministre, François Fillon, à Matignon, selon Libération. Patrick Pélata envisage pour la première fois que Renault ait été « victime d’une manipulation ». Renault envisage que deux des trois cadres licenciés ne possèdent pas de comptes à l’étranger mais maintient ses soupçons sur le troisième cadre, probablement Michel Balthazar.
Acte III. Pas de preuves, Renault fait marche arrière
Y a-t-il eu manipulation ? L’enquête continue mais n’apporte aucune preuve d’espionnage industriel, rendant de plus en plus plausible la piste de la manipulation. La DCRI n’a à ce jour retrouvé « aucune trace de comptes en Suisse » qui auraient été détenus par les cadres licenciés. De faux numéros de comptes auraient ainsi été communiqués lors de l’enquête privée effectuée en interne par Renault. L’enquête pour « espionnage industriel » se poursuit, rappelle malgré tout Bernard Squarcini, le patron de la DCRI.
Chez Renault, le doute est désormais de rigueur. Patrick Pélata envisage même de réintégrer les trois cadres en cas de manipulation avérée. « Renault sera très attentif à réparer toute injustice », assure-t-il au Figaro. De là à faire tomber des têtes ? L’hypothèse n’est pas exclue. « Quand l’enquête sera terminée, nous en tirerons toutes les conséquences jusqu’au niveau le plus haut de l’entreprise,c’est-à-dire jusqu’à moi », déclare encore Patrick Pélata.