Pour Philippe Courroye, exercer dans la sérénité ses fonctions de procureur de Nanterre relève de plus en plus de la gageure. Sous la menace d’une mise en examen dans l’affaire des « fadettes » (la saisie des factures téléphoniques de journalistes du Monde), régulièrement épinglé pour sa conduite jugée partisane du dossier Bettencourt, le voilà désormais suspecté de partialité… dans une autre affaire d’« abus de faiblesse ».
Mardi 18 octobre, Me Thibault de Montbrial, l’avocat de la fille du dessinateur Albert Uderzo, 83 ans, a déposé plainte avec constitution de partie civile devant la doyenne des juges du tribunal de Nanterre. Cette plainte « contre X », qui vise le délit d’« abus de faiblesse » – Sylvie Uderzo estimant que son père est la proie de prédateurs qui en veulent à sa fortune, évaluée à plusieurs dizaines de millions d’euros – devrait entraîner la désignation d’un juge indépendant.
La démarche de la fille du créateur d’Astérix constitue un acte de défiance à l’encontre du parquet de Nanterre, suspecté d’être de parti pris dans cette affaire. En cause, le fait que l’un des protagonistes du dossier, Michel Mouchtouris, un notaire qui aurait été « imposé » à Albert Uderzo et à son épouse Ada pour gérer les affaires du couple, ait pour avocat Me Olivier Baratelli. Or, ce dernier est aussi le défenseur de l’adjointe du procureur de Nanterre, Marie-Christine Daubigney, elle aussi mise en cause dans l’affaire des fadettes.
Me Baratelli est l’associé de Me Paul Lombard (l’ancien avocat de Liliane Bettencourt), un intime de M. Courroye. Il avait notamment participé, en 2009, à un dîner controversé au domicile du procureur réunissant le PDG du groupe Casino, Jean-Charles Naouri, et Patrick Hefner, sous-directeur des affaires économiques et financières de la police judiciaire de Paris… chargé d’une enquête sur Casino.
« Ayant constaté que le conseil du notaire, qui a aussi été l’avocat de la société de mon père – les Editions Albert et René –, se retrouve aujourd’hui avocat du parquet de Nanterre dans une autre affaire, celle dite des fadettes, je préfère confier la conduite de l’enquête à un juge d’instruction », confirme au Monde Sylvie Uderzo. D’après elle, cette proximité pourrait expliquer pourquoi l’enquête préliminaire ouverte en février par le parquet de Nanterre, après une première plainte déposée par Sylvie Uderzo, semble toujours au point mort. « Huit mois après la plainte, les principaux protagonistes du dossier n’ont toujours pas été entendus! », s’étonne ainsi Me de Montbrial.
Dans sa plainte, dont le contenu évoque irrésistiblement l’affaire Bettencourt, l’avocat explique que « les hommes de l’entourage de M. et Mme Uderzo ont progressivement mis en place une stratégie d’éloignement et de rupture entre le père et la fille ». Ainsi, à l’automne 2010, Sylvie Uderzo a eu la stupeur de s’entendre dire par son père qu’elle « serait déshéritée » et que « les bénéficiaires des assurances-vie avaient été changés ».
ACCUSATIONS « GROTESQUES »
Selon la plainte, la fille du dessinateur « a toutes les raisons de penser que l’influence dans laquelle Albert Uderzo a été progressivement placé sur le plan professionnel est désormais doublée d’une manipulation de la part de son entourage proche, en particulier de son personnel ».
L’initiative de Me de Montbrial intervient alors que, le 14 octobre, Me Olivier Metzner, l’avocat de l’ex-PDG d’Havas, Alain de Pouzilhac, qui doit être jugé fin octobre à Nanterre pour « abus de biens sociaux », a demandé le dépaysement de ce procès pour un motif similaire. Sa requête est en effet motivée par les liens supposés entre M. Courroye et la partie adverse, en l’occurrence l’homme d’affaires Vincent Bolloré.
« Le procureur Courroye s’est approprié l’instruction de ce dossier [Pouzilhac] alors qu’il est proche de la partie adverse à ce point que la défense du parquet de Nanterre dans l’affaire des fadettes est assurée par les mêmes avocats que ceux de M. Bolloré », a expliqué, lundi 17 octobre, à l’AFP, MeMetzner, en faisant allusion à Olivier Baratelli. Interrogé mardi matin, Me Baratelli a qualifié les deux démarches de « grotesques ». « Le fait que je défende une magistrate du parquet ne remet pas en cause mon indépendance ni la loyauté avec laquelle j’exerce mon métier », a-t-il estimé. Le parquet de Nanterre n’a pas souhaité s’exprimer.